Ma vie s'est arrêtée à 20 ans

Marie, jeune et jolie Dieppoise de 34 ans, nous livre un témoignage poignant, celui d’une femme séropositive à qui la société a fermé toutes les portes.

Marie est blonde, jolie, elle fait visiblement attention à son look. Rien ne la différencie des jeunes femmes de son âge qui passent la trentaine sereinement. Pourtant, Marie, Dieppoise depuis trois ans, n’a pas, ou presque pas d’amis, elle ne parvient pas à trouver de travail. Les conséquences de sa séropositivité. Le jeune femme a contracté le virus du Sida voici près de 14 ans. A peine sortie de l’adolescence, elle fréquentait alors les milieux toxicomanes. «Mais je ne me piquais pas. A l’époque, on commençait tout juste à parler du Sida, des modes de transmission. Un soir, j’ai fait une crise de manque et emprunté la seringue d’un copain..» Geste fatal. «C’est la preuve qu’une seule fois suffit, et ce tant pour les toxicomanes que dans le cas d’une transmission d’origine sexuelle...»

A l’occasion de la journée mondiale contre le Sida, Marie a accepté de parler d’elle, de son expérience, de son traumatisme «surtout pour dire aux gens de faire attention, de ne surtout pas relâcher leur attention et de continuer de se protéger. Tant qu’on n’aura pas inventé et mis au point un vaccin, le danger persistera. Pour moi, c’est comme si ma vie s’était arrêtée à l’âge de 20 ans.» Cruel constat.

Pourtant, alors que la maladie gagne régulièrement du terrain, alors qu’elle passe des hauts et des bas sur le plan physique, la jeune femme n’est pas résignée. Elle veut se battre, elle tient à son combat. Contre le mal qui la ronge tout d’abord, - «je bénéficie de la tri-thérapie qui me permet de remonter la pente quand je m’affaiblis trop» - Et contre le comportement de ceux qui savent. Contre ce sentiment d’être «une pestiférée» que tout le monde rejette, pour ne pas dire méprise, contre ces employeurs potentiels qui préfèrent trouver n’importe quelle excuse pour lui refuser un job. Comme si le Sida pouvait s’attraper à travers un regard, à travers une poignée de main, à travers un baiser. Cette méconnaissance de la maladie qui conduit les porteurs du VIH à se renfermer sur eux-mêmes, contraints et forcés, doit être combattue de toutes nos forces. Car exclure ainsi un malade de la société, c’est lui infliger une seconde mort, et ça, c’est intolérable.

Considérés comme des travailleurs handicapés, les séropositifs ne peuvent pas cacher la nature de leur mal, «et instantanément, l’attitude de celui que tu as face à toi change dès lors qu’il sait. En arrivant à Dieppe, j’ai rencontré deux filles de mon âge. On était bonnes copines, on discutait des choses dont les femmes de 30 ans parlent normalement. Elles m’ont tourné le dos quand je leur ai dit ma situation. La seule solution pour vivre normalement est de cacher sa séropositivé.»

Victime deux fois

Sans travail, sans famille, Marie doit se contenter de l’allocation pour adulte handicapée, soit un peu plus de 3000 francs par mois, pour survivre. Victime, elle l’est deux fois : de la maladie et de l’incompréhension qui l’entoure.

Selon elle, les progrès enregistrés dans les traitements, avec la mise au point de la tri-thérapie notamment, ont conduit à un relâchement coupable de l’information du public. «Aujourd’hui, on pense encore trop que cela ne nous arrivera jamais. Ici à Dieppe, malgré les efforts du collectif, l’information ne passe pas suffisamment. J’ai voulu pendant un temps, ouvrir une permanence avec le soutien d’une association telle que Aides ou Act up, mais les crédits font défaut. Au contraire, certaines antennes sont amenées à fermer, comme si l’épidémie n’était plus qu’un mauvais souvenir. Attention, car c’est loin d’être le cas.»

Si Marie a souhaité préserver son anonymat, c’est pour éviter qu’on la regarde davantage pour sa séropositivité que pour ce qu’elle est en tant que jeune femme. En tout cas, nous, l’avons vue, nous l’avons appréciée et lui souhaitons beaucoup de courage dans la lutte qu’elle mène quotidiennement, et surtout beaucoup de bonheur car tout un chacun a droit au bonheur.

Source: Philippe RIFFLET • le 5 Décembre 2000