Leahann: je n'ai pas encore encaissé le choc.

Je me rappelle les jours où j'ai été infectée, où j'ai séroconverti, où j'ai passé les tests de sang et où le médecin m'a donné la nouvelle. Je connais tous ces jours-là par coeur. À l'anniversaire de chacun d'eux, il faut que personne ne s'approche de moi parce que je n'ai pas encore encaissé le choc.

En juillet 1999, j'ai accepté un emploi comme au pair à Amsterdam, aux Pays-Bas. Je restais avec une famille formidable qui m'a traitée très, très bien. Je travaillais pour une agence, donc j'ai rencontré des au pair de partout au monde.

Un gars m'a appelé pour m'inviter à un party chez lui avec une gang d'autres au pair, mais tout le monde a changé d'idée à la dernière minute. Je me sentais mal pour lui parce qu'il avait acheté beaucoup de bouffe et d'alcool, donc j'ai décidé d'y aller toute seule.

Je n'ai jamais pensé qu'il m'arriverait quelque chose. Rien n'était plus loin de mon esprit quand j'étais encore vierge. Puis j'ai connu ce gars-là et il n'était pas la personne que je pensais. Il s'était décrit comme un top modèle, super beau pis tout, mais c'était faux.

On a jasé un peu et écouté des films en buvant une bouteille de vin. Tout d'un coup, les choses sont devenues un peu tendues, puis on l'a fait. On a baisé sans protection et je me suis sentie comme la plus grosse crétine du monde. Pour moi, c'était la première fois, mais il riait parce qu'il avait déjà couché avec une autre fille. Je n'étais donc qu'une autre conquête.

Je suis rentrée pour prendre un bain et essayer d'oublier ce qui s'était passée. C'était le 4 décembre 1999. Vers la fin janvier 2000, je suis tombée tellement malade que je ne pouvais plus manger. Il fallait qu'on me porte à la salle de bain parce que je ne pouvais pas marcher; je sentais que mes os se cassaient. Quand cela s'attaque à ton corps, il le domine complètement et il n'y a rien à faire. Ma famille hôte pensait que j'étais grippée.

Après quatre jours, j'allais mieux, mais j'étais déprimée parce que j'avais couché avec ce gars. J'ai fini par dire à la mère de ma famille hôte que j'avais eu du sexe sans me protéger. Le 15 juin, j'ai passé des tests de sang.

Ces 15 jours d'attente furent un calvaire atroce. Je n'ai pas dormi ni mangé. On a fait une erreur avec mes échantillons donc on a dû faire d'autres prises de sang. Le 29 juin, le médecin m'a appelée et a dit : " Pourriez-vous passer me voir demain s'il vous plaît? ".

Je savais dès le 29 juin que j'étais séropositive: je le savais dans mon ventre et dans ma tête. Le 30 juin, je suis entrée toute seule dans le cabinet du médecin et il n'y avait personne dans la salle d'attente. C'était très sinistre; on aurait dit qu'il me condamnait à mort. Quand il m'a fait entrer dans son cabinet, il était midi pile, et il a dit : " Je suis désolé, mais vous avez été infectée par le VIH ". Je le savais déjà presque, mais quand il a prononcé les mots...mon Dieu!

Après m'avoir annoncé la nouvelle, le médecin s'est arrangé pour m'envoyer à l'hôpital. J'y suis arrivée à peu près cinq heures plus tard. Ils m'ont pris au moins 15 fioles de sang - ils m'en ont pris tellement que je me suis évanouie. Tout le monde parlait hollandais et j'étais en train de virer folle. Je voulais que tout le monde me laisse tranquille et arrête de me toucher.

Ma famille hôte s'est organisée pour que je parte tout de suite : sept jours après avoir découvert mon statut, ils m'ont renvoyée au Canada. Je ne voulais pas partir, mais ils avaient peur de moi et ne voulaient plus être près de moi.

Je ne pouvais penser qu'à une chose : comment vais-je dire ça à mon père parce que c'est une personne très importante dans ma vie. J'étais de retour au pays depuis cinq jours quand je l'ai appelé, puis j'ai inventé une excuse quand je lui ai parlé. Mais trois jours plus tard, je n'en pouvais plus et lui ai dit la vérité au téléphone.

J'avais peur de le lui dire parce que je savais qu'il serait très déçu et que cela lui briserait le coeur. J'étais sa petite fille, je lui disais tout. C'est lui qui m'a acheté mon premier soutien-gorge, il était là quand j'ai eu mon premier baiser, il avait toujours été là.

Normalement, il n'y a rien que je puisse faire pour choquer mon père, mais cette nouvelle l'a frappé dur. Il n'en parle pas. Ce n'est qu'au cours de nos deux dernières conservations qu'il a demandé des nouvelles sur ma santé. Avant ça, il ne posait jamais de questions.

Je viens de commencer un journal intime pour mon père et je vais finir par le lui donner un jour. Il contient tous mes sentiments et je parle de la haine que j'éprouve pour qu'est-ce qui est arrivé.

Quand je suis rentrée au Canada, j'étais dans un très mauvais état. J'étais tellement paranoïaque que je paniquais chaque fois que quelqu'un éternuait près de moi. Je restais toujours à la maison pendant quatre mois et dormais jusqu'à 18 ou 20 heures par jour. Je me suis tellement stressée que j'ai eu une crise convulsive et des ulcères saignants.

Quand j'ai commencé à assister aux groupes de discussion de YouthCO, j'ai commencé à me confier un peu aux autres. Au mois de décembre, on m'a demandé si je voulais faire un documentaire sur ma vie avec le VIH. Après ça, j'ai prononcé un discours au mémorial du sida. J'ai décidé de ne pas laisser la maladie gâcher ma vie. Je suis ce que suis et je sais ce que je dois faire. Tant de bonnes choses me sont arrivées, mais beaucoup de mauvaises choses aussi.

J'ai travaillé chez YouthCO où j'ai offert du soutien à d'autres jeunes qui sont infectés par le VIH. Le VIH est une grande partie de ma vie mais quand je travaille avec d'autres jeunes séropositifs, j'ai tendance à oublier mes problèmes parce que je suis tellement occupée à veiller aux besoins des autres. C'est bon pour moi parce que si je pense à mon infection, cela me rend anxieuse et j'ai peur. Je ne vous mentirai pas : j'ai peur et je ne veux pas mourir.

Auteur: Leahann, Vancouver, Canada