Chantal, infectée à l'âge de 19 ans, Montréal

On croyait que j'avais la leucémie parce que mon taux de plaquettes était tellement faible; la seule explication était le cancer. On m'a dit : "On veut effectuer un test du VIH si ça ne te dérange pas ". J'ai répondu : " Pas de problème. Il va être négatif parce que je viens de me faire tester au mois de décembre. Je ne suis pas inquiète ". Donc on a fait le test ainsi qu'une analyse de la moelle osseuse, puis je suis partie en vacances aux Caraïbes pour fêter mon 18e anniversaire. Quand je suis revenue, il y avait un paquet de messages sur mon répondeur me demandant d'aller à l'hôpital.

J'ai pensé : " Mon Dieu, j'ai la leucémie, mais je peux composer avec ça. Ma tante a eu la leucémie, c'est rien, je peux y survivre ". Assise toute seule dans le métro pour aller à l'hôpital, je me suis dit : " Ils vont me dire que j'ai le sida ", comme une joke. Quand je suis arrivée à l'hôpital, le médecin m'a dit : " Je crois que tu devrais appeler quelqu'un ". J'ai dit : " Non, je suis une femme, dites-moi ce que j'ai ". Il m'a dit que j'étais séropositive, puis je lui ai donné un coup de poing. " C'est pas possible, faites un autre test! ", lui ai-je crié.

J'ai freaké. Je lui ai dit que j'allais acheter un gun pour le tuer. Puis j'allais me tuer parce qu'il n'était pas question que je meure dans un lit d'hôpital. Ils m'ont enfin laissée partir après avoir vu un psychiatre. Quand je suis sortie, je suis restée dans la rue devant l'hôpital, attendant que quelqu'un m'écrase. Puis une femme est venue me pousser hors de la rue et je lui ai crié : " Laisse-moi tranquille, je veux mourir! ".

Pendant deux ans avec mon chum, je me faisais tester constamment parce que je ne croyais pas qu'il était fidèle. Après 6 ou 7 mois, j'ai arrêté d'utiliser des condoms. Le jour après mon diagnostic, j'ai appelé tout le monde avec qui j'avais baisé dans ma vie. J'ai dû appeler jusqu'à Ste-Lucie et à New York.

Tout le monde à qui j'ai dit que j'étais séropositive voulait savoir comment je vivais ça. Quand j'en ai parlé avec mon chum, il m'a dit : " Pis? Fume un peu de pot et ça va partir. J'ai passé le test en prison et c'était négatif ". Je savais dans mon coeur qu'il me l'a donné. Il savait qu'il était séropositif et voulait infecter le plus de monde possible, mais j'étais déjà positive quand je l'ai réalisé.

Un de mes meilleurs amis m'a dit : " Okay, il faut que tu gardes le moral ". Il était plus sympathique que toute ma famille. On est des amis depuis la sixième année. Il pleurait, mais mon frère ne pleurait pas. Mes amis sont plus ma famille que ma vraie famille.

J'ai trouvé mon propre logement parce que je ne peux pas vivre avec ma famille. Je ne comprends rien à cette foutue de vie. Ça ne me dérange pas d'être séropositive, mais est-ce qu'il a fallu me donner ces parents-là en plus? Je suis une meilleure personne à cause du VIH. Avant d'être infectée, je tenais tout pour acquis parce que j'avais toujours traîné dans les rues. Ma mère est alcoolique et mon père est toxicomane. Ma soeur a déjà été prostituée et mon frère vendait de la drogue. À 14 ans, je volais des stations de service avec un gun parce que j'avais besoin d'argent. J'ai fait toutes sortes de conneries. Mais quand je suis devenue séropositive, j'ai compris quelque chose : je n'allais pas finir comme ma famille. J'allais faire quelque chose de ma vie. Je suis très reconnaissante d'être positive.

Les gens croient que je suis folle quand je dis ça. Mais si je n'étais pas positive, je serais en prison. C'est là où je m'en allais. À l'âge de 16 ans, j'ai dû aller en cour parce qu'une fille que j'avais tabassée me poursuivait en justice. J'ai dit au juge : " Vous ne me verrez plus jamais ici ". Et aucun juge ne m'a vu dans sa cour depuis ce temps-là. Il n'est pas question que je quitte la vie de même. Je veux retourner à l'école; mon rêve est de devenir agente de police.

Auteur: Chantal