Bibiche, 21 ans, mère de famille

Un tout petit filet de voix, jamais un mot plus haut que l'autre, cette jolie jeune femme trace son chemin au milieu des aléas de la vie.

«J'ai découvert toute seule, à 12 ans, que j'étais porteuse du virus. Plus jeune, j'avais interrogé mes parents pour savoir pourquoi je devais prendre des médicaments tous les jours, pourquoi j'étais si souvent hospitalisée. Ils se mettaient en colère et refusaient de répondre. Je grandissais, et je commençais à avoir des soupçons. Un jour, j'ai ouvert un dictionnaire médical et j'y ai cherché les noms des comprimés qu'on me donnait. Puis j'ai questionné le médecin qui me suivait à l'hôpital. Il m'a confirmé ce que j'avais lu. J'étais séropositive. Mais il n'a pas prononcé le nom de la maladie. Alors je suis allée interroger ma prof de SVT (sciences de la vie et de la Terre) à la fin du cours. Je lui ai demandé ce qu'être séropositif voulait dire. Elle a prononcé le mot. Le sida. Pour moi, c'était la fin du monde. J'ai fait une tentative de suicide.

J'ai alors demandé à être hospitalisée. D'abord, j'ai refusé toute visite de ma famille. Puis l'équipe médicale nous a réunis, dans un bureau. Mes parents n'ont pas dit un mot. Chez les Africains, le sida est une maladie honteuse. Ce sont les médecins qui m'ont dit que j'avais été contaminée par ma mère, durant la grossesse, parce qu'elle était séropositive. Mais, au fond de moi, j'ai toujours un doute. Je n'ai jamais vu maman malade ni prendre des médicaments. Nous n'en parlons jamais. Mes deux petites sœurs ne savent rien.

J'ai arrêté tout traitement depuis l'âge de 16 ans. Je n'ai pas l'intention de reprendre quoi que ce soit. Je pèse 53 kilos pour 1,62 mètre et je suis en bonne santé. Le virus reste tranquille. De toute façon, je ne peux plus supporter d'avaler un comprimé. Il m'est arrivé de prendre des médicaments de force, par exemple quand j'ai été hospitalisée pour la tuberculose. Les médecins m'obligeaient à les absorber devant eux. Mais, de moi-même, je ne prends jamais rien, pas même un cachet d'aspirine. Si j'ai un mal de tête, j'attends qu'il passe tout seul. Pour la contraception, je ne veux pas de la pilule. Je me suis fait poser un implant au bras.

Quand j'ai appris la vérité sur ma maladie, je pensais que j'allais mourir au bout de quelques années. Alors j'ai décidé de tout faire très vite. Je suis sortie avec mon premier petit copain à 14 ans. Je n'osais pas lui dire de mettre un préservatif à chaque fois, de peur qu'il se doute de quelque chose. Je suis restée avec lui pendant un an. Il n'a jamais rien su. Ensuite, j'ai rencontré Ryan * à une fête. Lui n'a jamais voulu se protéger, même quand j'ai fini par lui dire que j'étais séropositive. Je l'ai pourtant emmené voir les médecins, pour qu'ils lui lavent la tête. Qu'ils l'avertissent des risques. Rien n'y a fait. J'ai d'abord pris son attitude pour une preuve d'amour. En fait, je pense que Ryan a un côté suicidaire.

Je lui ai dit la vérité sur un coup de tête, un jour où je voulais le pousser à partir. Mais il est resté. Pourtant, il m'avait déjà posé plusieurs fois la question. A chaque fois, j'avais nié. A cette époque, la rumeur sur ma séropositivité circulait dans le quartier. J'avais été agressée et violée par deux jeunes de là-bas. Ils ont été arrêtés. Ils ont dû passer des tests, qui étaient négatifs.

Avec Ryan, nous avons décidé d'avoir un enfant. Kalvin * est né par césarienne, pour éviter la contamination. Il est séronégatif. Aujourd'hui, il a 2 ans. Mon fils, c'est ma raison de vivre.»

Source: L'express • 26.11.2004